Tébessa : joyau archéologique aux confins de l’Algérie

Ali

Nichée à l’extrême est de l’Algérie, à quelques encablures de la frontière tunisienne, Tébessa fascine par la richesse de son patrimoine historique remontant à l’Antiquité. Cette cité trois fois millénaire, qui fut successivement numide, romaine, vandale, byzantine puis arabe, a conservé de nombreux vestiges témoignant de son prestigieux passé. Découvrons ensemble l’histoire mouvementée et les trésors archéologiques de cette ville frontière à l’identité si particulière.

Une histoire antique prestigieuse

Des origines mythologiques

Selon la légende, la fondation de Tébessa remonterait à la nuit des temps. La mythologie grecque attribue même sa création à Héraclès (l’Hercule romain) lors de la réalisation de ses douze travaux. Le héros grec lui aurait donné le nom d’Hécatompyle, signifiant « la ville aux cent portes ».

Bien que cette origine mythologique soit évidemment fantaisiste, elle témoigne de l’ancienneté et de l’importance de la cité, dont l’existence est attestée dès le IIIe siècle avant J.-C. par des auteurs grecs comme Polybe et Diodore. Le nom originel de la ville serait en réalité d’origine berbère : Thifist, composé du mot ifis (hyène mâle) et de l’indicatif du féminin « t », signifiant donc « la femelle de l’hyène ».

L’époque numide

Avant la conquête romaine, Tébessa faisait partie du royaume numide. Entre 174 et 150 av. J.-C., elle fut dirigée par le célèbre roi Massinissa, qui en fit un important centre agricole. La cité constituait alors la limite méridionale du territoire d’une fraction des Musulames, peuple berbère allié de Rome.

La domination romaine

Après la chute de Carthage en 146 av. J.-C., Tébessa entre progressivement dans l’orbite romaine. Toutefois, ce n’est qu’au Ier siècle après J.-C. que la ville devient véritablement romaine. En 75, elle accueille le quartier général de la IIIe légion Auguste, devenant ainsi une importante base militaire.

Sous le règne de l’empereur Trajan (98-117), Tébessa connaît un essor remarquable et compte déjà 30 000 habitants. Au IIe siècle, elle est élevée au rang de colonie par Septime Sévère et devient un carrefour routier majeur, avec huit grandes voies qui y convergent. La cité atteint son apogée sous le règne d’Hadrien (117-138), atteignant les 50 000 habitants et s’imposant comme la deuxième ville d’Afrique romaine après Carthage.

L’importance de Tébessa à l’époque romaine se manifeste par la construction de nombreux monuments prestigieux :

  • L’arc de triomphe de Caracalla (213)
  • Le temple de Minerve (début du IIIe siècle)
  • L’amphithéâtre (IVe siècle)
  • La basilique chrétienne (fin du IVe siècle)

Le déclin et les invasions

Au Ve siècle, Tébessa subit les assauts des Vandales qui s’en emparent et la pillent, marquant le début de son déclin. En 496, des tribus berbères dirigées par le chef Jaldas envahissent la région et ruinent la ville. Elle est reprise peu après par le roi vandale Thrasamund.

En 530, le gouverneur byzantin Solomon reconquiert la cité et entreprend sa restauration. Il fait notamment construire en 535 la puissante enceinte byzantine qui enserre encore aujourd’hui le centre historique. Malgré ces fortifications, Tébessa est à nouveau prise par les Berbères en 597.

La conquête arabe et l’époque islamique

En 682, Tébessa tombe aux mains des conquérants arabes. La ville entre alors dans une longue période de déclin, se maintenant dans les limites de l’enceinte byzantine. Les géographes arabes des IXe et XIIIe siècles la mentionnent comme une madîna (ville) mais elle semble avoir perdu beaucoup de son importance passée.

Al-Bakri, au XIe siècle, la qualifie d’awwaliyya (antique) et note la présence de nombreux vestiges préislamiques encore visibles. L’économie de la région repose alors sur une agriculture variée, avec notamment une production fruitière réputée.

À partir du bas Moyen Âge, Tébessa connaît un processus de ruralisation et de « tribalisation ». Au XVIe siècle, les Turcs y installent une garnison de janissaires, mais les véritables maîtres de la région demeurent les Nemencha, une puissante tribu berbère.

Un patrimoine archéologique exceptionnel

L’enceinte byzantine

L’un des monuments les plus impressionnants de Tébessa est sans conteste son enceinte byzantine, construite en 535 par le général Solomon sur ordre de l’empereur Justinien. Cette imposante muraille, qui ceinture encore aujourd’hui la vieille ville sur un périmètre de 1,5 km, constitue l’un des plus beaux exemples d’architecture militaire byzantine en Afrique du Nord.

Caractéristiques de l’enceinte :

Élément Description
Hauteur 10 à 12 mètres
Épaisseur 2,5 mètres
Nombre de tours 14
Portes principales 4
Matériaux Blocs de pierre de réemploi

La muraille est percée de quatre portes principales, dont la plus célèbre est la porte de Caracalla, intégrant un arc de triomphe romain du début du IIIe siècle. Cette porte monumentale, haute de 12 mètres, est ornée de bas-reliefs et d’inscriptions latines.

L’arc de triomphe de Caracalla

Érigé en 214 en l’honneur de l’empereur Caracalla et de ses parents, Septime Sévère et Julia Domna, l’arc de triomphe est l’un des monuments les mieux conservés de Tébessa. Il a été intégré à l’enceinte byzantine au VIe siècle, ce qui a permis sa préservation exceptionnelle.

Caractéristiques de l’arc :

  • Hauteur : 12 mètres
  • Largeur : 10,94 mètres
  • Profondeur : 4,75 mètres
  • Matériau : calcaire local

L’arc est décoré de quatre colonnes corinthiennes supportant un entablement orné de frises. Des inscriptions latines rappellent sa dédicace à la famille impériale. Bien que certains éléments décoratifs aient disparu, l’arc demeure un témoignage remarquable de l’architecture triomphale romaine.

Le temple de Minerve

Situé à proximité de l’arc de Caracalla, le temple de Minerve date du début du IIIe siècle. Bien que partiellement ruiné, il conserve encore sa façade avec quatre colonnes corinthiennes supportant un fronton triangulaire. L’édifice a été transformé en musée archéologique au début du XXe siècle.

Le temple abrite une magnifique mosaïque découverte en 1922 par l’archéologue Stéphane Gsell. Cette œuvre exceptionnelle représente le triomphe de Bacchus et constitue l’un des joyaux du patrimoine de Tébessa.

La basilique chrétienne

Construite à la fin du IVe siècle, la basilique chrétienne de Tébessa est l’un des plus importants édifices paléochrétiens d’Afrique du Nord. Elle était dédiée à sainte Crispine, une martyre locale exécutée en 304 sous le règne de Dioclétien.

La basilique se compose de plusieurs éléments :

  • Une nef centrale flanquée de bas-côtés
  • Un atrium avec une fontaine
  • Un baptistère octogonal
  • Une chapelle tréflée (triconque)
  • Des annexes monastiques

L’ensemble, remarquablement préservé, offre un aperçu saisissant de l’architecture chrétienne primitive en Afrique romaine. La basilique a été transformée en musée en 1971 et abrite de nombreuses pièces archéologiques, dont des sarcophages, des chapiteaux sculptés et des mosaïques.

L’amphithéâtre

Situé à l’est de la médina, l’amphithéâtre de Tébessa date du IVe siècle. Bien que partiellement ruiné, il témoigne de l’importance de la ville à l’époque romaine tardive. Ses dimensions modestes (environ 50 mètres de diamètre) suggèrent qu’il était principalement utilisé pour des combats de gladiateurs plutôt que pour des chasses d’animaux.

Le forum

Le forum, cœur de la vie publique dans toute cité romaine, occupait une position centrale à l’intersection des deux axes principaux de la ville : le cardo et le decumanus. Bien que largement recouvert par les constructions ultérieures, son emplacement demeure le centre névralgique de l’animation et du commerce dans la vieille ville de Tébessa.

Les nécropoles

Plusieurs nécropoles antiques ont été identifiées autour de Tébessa. La plus importante est le cimetière chrétien situé à l’ouest de l’enceinte byzantine. Datant de la période vandale (Ve siècle), il a livré de nombreuses tombes, certaines ornées de mosaïques funéraires.

D’autres sites funéraires ont été découverts, notamment :

  • Des tombes à caissons d’époque romaine, dont certaines ont été réutilisées dans la construction de l’enceinte byzantine
  • Des dolmens préhistoriques dans les environs de la ville
  • Des hypogées creusés dans la roche

Tébessa Khalia

À trois kilomètres au sud-ouest de la ville actuelle se trouve le site de Tébessa Khalia (« Tébessa la vide » en arabe), qui pourrait correspondre à l’emplacement de la cité antique avant son déplacement. Les fouilles menées depuis le XIXe siècle ont mis au jour de nombreux vestiges, dont :

  • Les restes d’une forteresse byzantine
  • Un établissement thermal
  • Des citernes
  • Des tombes à caissons
  • Des fragments architecturaux et des inscriptions

Ce site, encore insuffisamment exploré, pourrait réserver de nouvelles découvertes passionnantes sur l’histoire antique de Tébessa.

Tébessa à l’époque moderne et contemporaine

La conquête française

Après la prise de Constantine par les Français en 1837, Tébessa reste encore pendant plusieurs années sous le contrôle des Nemencha, une puissante tribu berbère hostile à la présence coloniale. Ce n’est que le 9 mars 1851 que la ville est occupée par les troupes du général Jacques Louis Randon.

L’occupation initiale est modeste : une garnison de 40 spahis commandés par le capitaine Allegro s’installe dans l’ancienne caserne des janissaires du quartier de la Casbah. Tébessa devient alors une importante base militaire pour la conquête et le contrôle du Sud constantinois.

Développement de la ville coloniale

Sous l’administration française, Tébessa connaît un certain développement, principalement lié à sa position stratégique près de la frontière tunisienne et à l’exploitation des ressources minières de la région (phosphates). La ville est érigée en commune de plein exercice par décret du 4 décembre 1880.

Parmi les réalisations de l’époque coloniale, on peut citer :

  • La construction d’une nouvelle église en 1907 (transformée en musée en 1971)
  • L’aménagement d’un réseau ferroviaire reliant Tébessa à Bône (Annaba) et au gisement de phosphates de Djebel Onk
  • La création d’un terrain d’aviation

La guerre d’Algérie

Durant la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962), Tébessa joue un rôle important en raison de sa proximité avec la frontière tunisienne;

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